Autopsie d’une autoroute

Je désirais ralentir la course folle du quotidien en m’imposant un protocole de recherche appelé Parcours-processus. Ce protocole consiste à marcher ou courir tout en photographiant et/ou ramassant les déchets-objets (artéfacts cultures). Je les mets en opposition aux végétaux ou animaux tués sur le bord des routes (artéfacts natures) afin de créer un bestiaire contemporain instantané. J’observe depuis longtemps que dans ma région sauvage et nordique qu’est l’Abitibi qu’un grand nombre d’animaux ou d’invertébrés sont tués. Constatant que la vitesse à laquelle nous vivons met en péril la vie de plusieurs animaux, j’ai senti le besoin de leur donner un droit de parole pour ainsi leur rendre hommage en « totémisant » leurs cadavres.  Me donnant ainsi l’opportunité de m’excuser pour les dégâts que fait ma race humaine!

Dans mon travail, AUTOPSIE D’UNE AUTOROUTE, j’emploie d’avantage les artéfacts de nature animale, les stickers-graffiti des grandes villes et les déchets. J’adopte un concept déjà existant nommé le plogging.  «Tout droit venu de Suède, ce concept est une nouvelle activité physique qui permet aux citoyens de récolter des ordures durant leur jogging.»[1]   Je pousse plus loin ce concept en réalisant des œuvres avec les déchets recueillis que je nomme le Plogging art.

On peut percevoir deux réalités: la réalité rurale et la réalité urbaine. La version rurale se distingue par la création de natures mortes en photographiant l’accumulation de déchets trouvés mis en opposition avec les animaux morts des bords de route. La version urbaine, quant à elle, s’exprime par la photographie de la surcharge de stickers-graffiti vieillis par le temps mis en opposition avec des animaux 3D qui surgissent ou pénètrent dans l’œuvre. Les déchets sont également présents sans toutefois être le centre de l’attention. Dans les deux réalités, j’interviens en médiums mixtes avec des couleurs saturées et les aplats du Pop art afin de rappeler le langage publicitaire. Les animaux empaillés sont réalisés avec l’aide du taxidermiste William Berge, afin de miser sur l’impact du réel. Ces deux modes de représentation entament un dialogue : la représentation de l’objet, la nature morte et l’objet lui-même. Tous deux font la critique des objets de consommation, représentant ainsi la nouvelle religion qu’est le consumérisme!

Dans ce processus de création, j’utilise la dichotomie de l’esthétique et du brut afin d’observer notre existence souvent vide de sens. Ces traces laissées par l’humain sont des indices anthropologiques permettant d’entamer une critique sociétale sur notre cohabitation avec la nature et de l’impact de la surconsommation. Les produits de consommation nous situent dans un contexte sociohistorique. Ils nous aident également à percevoir notre besoin de remplir le vide par des artifices et d’assouvir nos désirs constants et insatiables.

Dans mon protocole de recherche, je refais toujours, ou presque, le même trajet afin de me garder éveillée à ce qui se passe autour de moi. Comme Camus, j’utilise l’allégorie de Sisyphe. « L’homme en quête de sens pris dans un trajet répétitif qu’il qualifie d’absurde. Est-ce que la réalisation de l’absurde nécessite le suicide ? Camus répond : « Non, elle nécessite la révolte. » »[2]

C’est donc à travers l’art que je suis capable de canaliser et d’exprimer cette énergie de révolte. Cela permet aussi à la faune de se révolter et d’exister à son tour à travers mes œuvres. Le plogging art fait foi d’un geste réel. Il pose une action concrète et souligne l’importance des petits gestes au quotidien. Il m’empêche de sombrer dans l’absurdité de ce monde dépourvu de sens et de spiritualité. Un monde qui considère souvent la nature au service de l’homme…

[1] https://www.journaldemontreal.com/2018/04/04/le-plogging-une-course-aux-dechets-qui-debarque-a-montreal

 

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Mythe_de_Sisyphe